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INTERVIEW

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« Tôt ou tard, il y aura la volonté de ceux qui ne trouveraient pas leur compte d’aller tenter leur chance ailleurs », déclare Hassane Boukar de l’Association de défense des droits de l’homme, Alternative Espace Citoyen.

Spécialiste de la migration au département Migration de Alternative Espace citoyen, Hassan Boukar défini la migration comme un déplacement des personnes d’une région à une autre, dans un même pays, pour diverses raisons ; des personnes qui quittent leur pays pour aller s’installer dans un autre pays, pour des raisons économiques, sociales, etc. Dans l’interview qui suit, il se prononce sur le protocole de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes et des biens et les impacts de la politique nationale de la migration, adoptée par le Niger.

Le Potentiel : Quel regard portez-vous sur la migration en général et la migration féminine en particulier ?

Les derniers chiffres en notre possession laissent croire qu’il y a au moins 250 millions de personnes qui sont concernées par la migration, qui vivent souvent hors de leur pays. Ce qui montre l’importance de ce mouvement. En ce qui concerne la zone africaine, en particulier l’Afrique de l’ouest, une des choses intéressantes, c’est que ce mouvement se fait essentiellement au sein de la zone Afrique de l’ouest. Autrement dit, quelqu’un qui quitte le Niger a beaucoup plus tendance à aller vers la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Sénégal qu’ailleurs hors de l’Afrique de l’ouest ou hors du continent africain. Vous avez quelque chose de semblable en Afrique australe, plus au sud, les ressortissants de la RDC, de Namibie, qui vont vers l’Afrique du sud qui est un pays riche en ressources minières. Les gens partent travailler sur les sites miniers mais aussi parce que l’Afrique du sud est l’économie dominante dans cette partie de l’Afrique. A côté de ce mouvement qui se passe à l’intérieur de l’Afrique, il y a ceux qui quittent pour aller en Europe, dans les pays du Golf ou en Amérique.

En ce qui concerne la migration féminine, c’est un phénomène relativement récent au Niger. Dans les années antérieures, on présente le Niger comme étant un pays où les femmes se déplacent très peu. On sait qu’il y a un phénomène qui a défrayé la chronique, notamment le mouvement des femmes de la région sud de Zinder, à savoir le département de Kantché qui se déplacent vers l’Algérie. C’est quelque chose qui se fait dans des conditions dramatiques. On se rappelle du drame de 2013 où 92 personnes ont trouvé la mort dans le désert, dont au moins 50 enfants ont perdu la vie.

Donc, cette migration a beaucoup fait parler d’elle. Pour un pays dont les femmes se déplacent peu, le fait qu’on parle subitement des femmes qui empruntent la voie de la migration, c’est un phénomène assez particulier.

En ce qui nous concerne, à Alternative, nous avions mené plusieurs missions dans le département de Kantché pour rencontrer ces femmes ainsi que d’autres acteurs, pour essayer de comprendre le pourquoi de ce phénomène. Une des raisons qui a été avancé, c’est qu’il y avait déjà une vielle migration qui se fait dans les années 80 en direction de la zone d’Artlit, qui est une zone minière. Certaines femmes partaient travailler comme domestiques chez les cadres des sociétés minières. C’est à partir de cette zone que certaines ont découvert l’Algérie, notamment Tamanarett. Petit à petit, ça a incité d’autres à y aller, le mouvement peut avoir une origine semblable. Pourquoi les autres sont allées en masse par la suite ? Il y a ce qu’on appelle le « succes stories ». Les premières à partir sont revenues avec des ressources avec lesquelles elles ont investi. Du coup, cela a incité d’autres à partir tenter leur chance. Mais au-delà de ça, on sait que ces zones ont une forte densité humaine. Il y a un morcellement foncier qui fait que les gens se retrouvent avec un petit lopin de terre. Certains qu’on a retrouvé nous ont fait savoir qu’avant, on peut effectivement vivre de ce qu’on a récolté dans les champs. Aujourd’hui, il est extrêmement impossible de vivre au-delà de trois à quatre mois, ce qui expose les gens pendant une longue période de l’année. Donc, il y a beaucoup de raisons qui font que les femmes empruntent les chemins de la migration comme les phénomènes sociaux liés aux dépenses de mariages dont elles ont la charge.

Quel impact peut avoir le protocole de la CEDEAO sur la circulation des personnes et des biens sur la migration ?

Pour nous, le Protocole de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes et des biens est un instrument très utile. C’est l’un des rares outils parmi les plus anciens qui fait la promotion de la libre circulation. C’est quelque chose d’extrêmement important. Il y a des avantages liés à ce protocole. En créant l’espace communautaire, les pères fondateurs de la CEDEAO ont voulu de la libre circulation comme une condition sine qua non qui favorise l’intégration économique des pays membres.

Malheureusement aujourd’hui, on constate que les marchandises circulent beaucoup plus facilement que les personnes.

La circulation des biens semble plus ou moins acté que la circulation des personnes, laquelle pose de plus en plus de difficultés et ça se dégrade avec notamment, la pression des pays européens. Depuis, on parle de la migration comme un problème. Du coup, des pays comme le Niger, qui sont des pays de transit, des pays comme le Sénégal, qui sont des pays de départ, subissent beaucoup plus de pressions par les pays européens qui sont considérés comme les pays d’accueil, parce que ces pays considèrent que trop de personnes viennent de l’Afrique vers leurs frontières.

Pour autant, le protocole est soumis à rude épreuve. Le cas le plus emblématique c’est celui du Niger où les migrants, ressortissants des pays ouest africains sont bloqués à Agadez. Or, le Protocole veut que sur l’ensemble du territoire national qu’on ait la possibilité de se déplacer, pourvu qu’on ait une pièce qui prouve qu’on est ressortissant de cet espace-là. Aujourd’hui, du fait de cette pression des pays européens, le protocole est mis à rude épreuve. Un pays comme le Niger privilégie les accords qu’il a avec ces pays européens et met au second rang le Protocole de la CEDEAO. De façon pratique, il y a toujours des limites sur les zones frontalières par rapport à ce protocole de la CEDEAO.

En plus d’avoir ratifié le Protocole de la CEDEAO, le Niger s’est doté d’une politique nationale de migration. N’y a-t-il pas à ce niveau un risque de doublon et des impacts sur la mobilité des personnes ?

Le projet d’avoir une politique nationale de migration remonte à 2007, donc ça fait plus de 10 ans que le Niger a entamé ce chantier. L’idée de la politique qui a été élaborée, c’est un positionnement du pays par rapport à la question migratoire, qui est devenue de fait, un sujet dominant dans les relations au niveau régional et international. Le pays a besoin de se positionner pour dire comment il compte aborder la question de la migration. De ce point de vue, c’est quelque chose d’utile. Maintenant, ça dépend de quel est le contenu qu’on met dans ce document : est-ce que véritablement la politique reconnait la migration comme étant un droit au même titre que le Protocole de la CEDEAO ? L’idée pour nous, c’est qu’il faut reconnaitre la migration comme un droit.

Mais ce que je vois dans cette politique, c’est un peu, une reprise de certaines idées de la plupart des pays d’accueil, selon lesquelles, il fallait investir dans les zones de départ, c’est-à-dire les zones à partir desquelles les migrants quittent pour rejoindre l’Europe. En prenant cette approche, qui consiste à investir dans les zones de départ, il y a en cela la négation de ce droit.

Puis, la politique parle beaucoup du contrôle de la zone frontalière. En même temps qu’on parle de Zlecaf, d’ouvrir les frontières, d’avoir une zone de libre-échange au niveau continental, en même temps, on voit une volonté de contrôler davantage les frontières contre les migrants. Ça fait un peu sourire au Sahel : voilà des pays qui ont du mal à investir mais qui doivent investir pour protéger leurs frontières des terroristes. On parle de porosité, des zones hors contrôles comme la zone des trois frontières. Mais en même temps, vous avez des ressources qui sont prévues pour lutter contre les migrants.

Je pense que pour des pays comme le Niger, il faut se rendre compte que nous sommes un pays extrêmement jeune, avec une jeunesse dont les demandes ne sont pas forcément satisfaites au niveau national. Tôt ou tard, il y aura la volonté de ceux qui ne trouveraient pas leur compte d’aller tenter leur chance ailleurs. Les gens vont continuer à partir. La preuve, bien avant la politique nationale de la migration, le Niger a pris la loi 2015-036 pour bloquer les passages à partir d’Agadez. Cette loi n’a pas empêché aux gens de trouver d’autres voies pour aller vers la Libye. Je pense que nos pays doivent avoir le courage de négocier des possibilités pour des jeunes qui partent pour travailler et sécuriser les voies de déplacement.

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